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ENJOY THE SILENCE

Georges Dumas

Le silence est une chose bien curieuse. Tout comme le vide, on peut le concevoir, on peut en parler, mais il n’existe pas vraiment, en tout cas pas de manière absolue. Le silence est toujours relatif et, plus qu’un phénomène physique qu’on pourrait définir par l’absence de vibrations et dont on ne peut jamais faire l’expérience dans la vraie vie, il s’agit d’un jugement psychologique ou esthétique qui n’a aucune prétention à l’objectivité. Car il y a toujours quelque chose, quelque part, qui vibre. Qui vit. Sans quoi, ce serait le néant.
Comment rendre visible cette forte atténuation des vibrations sonores que l’on appelle silence ? Ondes mécaniques et ondes lumineuses ne sont pas de même nature. Et pourtant, certains parviennent à photographier le silence. On regarde leurs clichés, et aussitôt le silence se fait. Comme si les grains de lumière saisis par l’objectif avaient absorbé le son au passage. Comme si l’œil de l’artiste avait fait taire le vacarme du monde.
Car c’est bien le photographe qui est à l’origine de cette transmutation de la lumière en silence. C’est lui qui nous montre à voir qu’il n’y a rien à entendre. Il recourt pour cela à la suggestion et à la manipulation, il vient jouer avec notre univers psychique. Poète, il va faire rimer très souvent silence avec absence. Absence de personnages, absence de vie animale, absence de mouvement, absence d’action. L’absence qui s’oppose à la présence, qui parfois n’est que le bref intermédiaire entre deux présences, entre deux occurrences. Une seconde avant, c’était un brouhaha indescriptible, une seconde après, c’est un déchaînement d’applaudissements ou de cris, mais au moment où le doigt appuie sur le déclencheur, c’est l’attente qui assourdit tout, c’est le moment où tout et tous retiennent leur souffle, où la vie interrompt son cours habituel. Pour rendre compte de cet instant, la fixité est un allié de poids, elle évite les crissements, elle évite les bruissements, elle met tout en suspens. L’esprit se tend, il est aux aguets et fait le vide autour de lui ; il est tellement concentré sur l’objet de son attention que plus rien d’autre n’existe. Ainsi naît le silence, un silence intérieur, le seul vrai silence.
Mais, plus profondément encore, pour que le silence perçu ou façonné par l’artiste puisse pleinement se transmettre au spectateur, c’est l’absence de mots qui l’emporte sur toutes les autres absences. Le silence est une expérience intime, à la fois sensorielle et subjective, qui nous met au cœur d’un dispositif particulier où la solitude tient une place primordiale. Ce n’est pas tant l’absence de bruits ou de sons que l’absence de mots qui définit vraiment le silence. Si deux personnes se retrouvent seules au milieu d’une clairière en pleine nuit sans un souffle de vent, il suffit que l’un ouvre la bouche pour que le silence soit rompu, parfois irrémédiablement, là où un cri d’animal n’aurait fait qu’épaissir ce même silence une fois le son disparu. Pour bien photographier le silence, l’artiste ne doit rien nous dire, il ne doit tenir aucun discours, juste nous donner à voir la suspension du temps et de l’action et nous laisser faire le reste dans l’intimité inaudible de notre conscience.
Words like violence Break the silence Come crashing in into my little world...

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