L’ÉCHAPPÉE BELLE
Catherine Raspail
Ils se sont immergés dans le noir avant lui, ont montré le chemin.
Pascal Baudry a vu son grand-père puis son père pousser la porte du labo amateur.
À dix ans, attiré par la magie, il assiste au plongeon de la feuille blanche dans le bain chimique.
Il comprend qu’ « un bon œil est une manière d’expliquer les choses. »
« Juste magique ! », la poésie de la chimie opère sans cesser, des années après l’initiation. Malgré les connaissances techniques.
Ce pur autodidacte a tôt senti l’appel : à 17 ans, Pascal file à Paris depuis sa Bourgogne natale et rencontre, au culot, l’importateur de Minolta. Séduit par le jeune passionné, Pascal repart avec un Minolta X700.
À 21 ans, il possède son premier Leica qu’il ne lâchera plus. C’est l’appareil du reporter, de Cartier-Bresson ou Capa, le cadre et ses bandes blanches, la vie en 24x36.
Jeune lecteur de Pif Gadget et de Rahan, un ailleurs le taraude. La facilité des rencontres et le besoin des autres feront le reste. Son truc, c’est Kerouac : être ailleurs, loin, longtemps.
Il plaque l’immobilier florissant et file à Saïgon, une grand-mère vietnamienne sous chaque bras.
3 - 4 mois plus tard, il ramène des photos couleur et noir et blanc. Son reportage sur ces retrouvailles familiales est publié. Désormais, il sera photographe indépendant.
Pas d’exclu, il travaillera pour Gamma, GLMR, Sipa Press, Visa. Il s’intéresse aux pays qui hissent le drapeau rouge.
Le voilà à Cuba pour un an. Via des amis fixeurs, il parvient à interviewer des cadres, retrouve les enfants du Che. On ne verra jamais le reportage ; les négatifs ont disparu corps et âme dans des caves inondées ou des rachats d’agences.
Le photographe-reporter part dans le Chiapas pour une commande ; au bout d’un mois et demi d’attente, Pascal finit par rencontrer le Commandant Marcos. Danielle Mitterrand n’est pas loin.
C’est armé d’un Hasselblad qu’il repart au Vietnam. Son reportage ? Les conséquences humaines de l’agent défoliant Orange répandu par l’armée américaine entre 1961 et 1971 sur les forêts et les rizières. La CIA s’affole ; les planches contact sont là, en attente d’être publiées.
Pascal passe à Magnum, responsable du service corporate.
Il y aura la Birmanie, le Pakistan, l’Égypte, la Palestine, les conflits où il est embedded . Fin 2003, il travaille pour le WWF en Alaska et documente durant un an les ravages de l’échouage de l’Amoco Cadiz.
Et là, il clique sur PAUSE.
2018, Pascal débarque à Lyon. Il reprend ses boîtiers. Il n’illustre plus le chaos, la guerre, la destruction. Reporter, il l’est encore, son Leica M6 autour du cou à chaque sortie, chaque voyage, chaque balade. L’envie d’espace le pousse au-dehors : il s’échappe. À moto, à pied, en voiture : sur la route. Prise de liberté. Il se tient prêt. Le plaisir le guide, le sentiment est toujours aussi fort au déclic : « Tu sais quand tu as une bonne image ! »
Son travail s’échappe lui aussi. Vers une autre forme esthétique. Plus de portraits posés, des « gueules » à la volée. Il ne recadre jamais. Sa photo, de plus en plus minimaliste, est composée de plusieurs techniques, une synthèse du noir et blanc, de moins en moins de couleur, des gammes de gris et puis « cette lumière ». L’art des contrastes.
Entrer dans le présent, en faire partie, shooter l’instant, le capturer vivant et le tremper dans un bain d’immortalité, c’est peut-être ce qui caractérise le passage à l’acte de Pascal, le traitement qu’il fait subir à sa capture. Un présent éternel, un noir et blanc magnifié de lumière.
Il se force à collaborer et s’entoure de regards bienveillants en post-prod. Il se fait plaisir, transmet, expose. Être exposé, c’est en sortir redynamisé, shooté à des bulles d’énergie.
Mais un photographe ne montre jamais tout. Pour 100 prises, une seule est révélée.
Les archives (négatifs développés, planches contacts), les siennes, celles de son père et de son grand-père, vont l’occuper cette année. Ce trésor en images le rassure ; le spectre d’Alzheimer est par trop menaçant : on doit parer à la fragilité.
En 2023, le travail de Pascal Baudry sera sans doute montré en Suisse et ailleurs . Un projet de livre est en cours.
D’ici là, il continuera à « écrire » son roman photographique en noir et blanc parfois pigmenté de couleurs, entre présent, plaisir, rencontres, chimie et poésie.