LE CORPS COMME MATÉRIAU SURRÉALISTE
Georges Dumas
Loin du corps mondain et à la mode qu’il a l’habitude de photographier par ailleurs, Julien Vallon a entrepris de jouer avec les membres de ses modèles pour en faire des cadavres-exquis dans la plus pure tradition surréaliste. Pas des monstres à la Frankenstein, rapiécés et recousus pour former un nouvel être fonctionnel, mais des puzzles sans queue ni tête, surtout sans tête, qui pourtant disent beaucoup, à tel point que leur auteur les qualifie d’histoire(s).
La qualification de surréaliste vient tout naturellement lorsqu’on regarde le travail de Julien Vallon pour la première fois. Les figures d’Yves Tanguy et de Salvador Dali semblent planer au-dessus des découpages improbables du photographe, ces assemblages courbes, délicats et doux, d’éléments réalistes taillés dans le vif, sans souci de vraisemblance. On pense par exemple à « Galatea des sphères » ou à la « Jeune vierge autosodomisée par sa propre chasteté » dans cette manière particulière de réunir des morceaux aux contours nets et arrondis pour former un tableau dont la signification ne jaillit que de la vue d’ensemble. Comme pour ses lointains prédécesseurs, ce qui génère le trouble chez le spectateur, c’est l’apposition d’éléments dont le modelé évoque la réalité fidèlement restituée (la technique de Dali aurait pu faire de lui un immense artiste hyperréaliste, la photographie de Vallon l’ancre dans une esthétique de la mimésis) mais dont la relation les uns avec les autres empêche toute lecture réaliste.
Les « Histoire(s) » de Julien Vallon poursuivent à nouveaux frais une quête de sens dans la veine des associations d’idées, des rêves et des télescopages d’images chers autant aux surréalistes qu’aux psychanalystes. Ce n’est plus la peinture ou le collage de papiers qui se fait le support de cette quête, mais les outils actuels à la disposition des artistes contemporains : la photographie et la composition numériques, selon une démarche résolument plasticienne. Si la caméra reste fidèle à sa fonction primaire de captation du monde environnant, elle abandonne toute ambition de témoignage véridique et se met entièrement au service d’un esprit qui recompose sans souci de vraisemblance mais avec celui de créer un univers étrange à l’esthétique tranchée et assumée. Les surfaces et les couleurs sont agencées avec soin malgré un collage qui peut apparaître grossier : l’outil numérique ne se cache pas, il éclipse la prise de vue photographique, il impose ses découpages nets de corps démembrés et leur réassemblage dans des positions et des relations qui sont autant de sources d’interprétation pour le spectateur, autant d’histoires qu’il peut se raconter à lui-même.
Julien Vallon présentera plusieurs « histoires personnelles » lors de la Biennale Internationale de Photographie Nicéphore+ dont Corridor Eléphant est partenaire. L’édition 2022, qui se tiendra à Clermont Ferrand du 8 au 29 octobre, a pour thème : « Le Corps fragmenté ».
Pour plus d’information : https://www.festivalphoto-nicephore.com/