PAYSAGES ET PRÉSENCES DE RÉSILIENCE OU D’ANGOISSE
Jean-Paul Gavard-Perret
« voir
- entrevoir
- croire entrevoir
Folie que de vouloir croire entrevoir » (Beckett)
Jean Anguera crée au fil du temps des images de plus en plus primitives et sourdes. Le paysage est de plus en plus désolé, des êtres ne demeurent que des fantômes. Le plasticien propose un flux persistant pour la dispersion insistante au sein du mouvement de traversée à travers des fragments dans un « inannulable » moindre.
Sur des plates-formes demeurent des hommes des plaines, existent aussi des volumes ou des dessins de paysages vallonnés ou sillonnés, des banquises ou des tertres de terre où tout ramène à un chaos organisé d’agrégats baignés d’une lumière de limbes. Dans les dessins de rares hommes debout sont pris de loin tandis qu’une ligne d’horizon coupe de manière fractale le ciel de la terre.
Sommes-nous au Paradis ou déjà en Enfer ? Pour l’heure le suspens reste possible. Demeurent ces vagues rigides qui enflent puis, se retirant parfois, laissent un espace vide pour le glissement, la dérive. Pénétrant l’espace optique le visiteur est pris entre la fascination et la désidération car les fantômes sont plus réels que le réalité elle-même. Leur destin devient le récit de la vie à laquelle on n’échappe pas.
Perdurent des murailles d'indices du non-dit et de l'indicible. L'exil est au cœur de la nuit noire de la matière. Des ombres veillent sur nous de leurs masses enfiévrées. Mais qui sont ces errants ? Dans le silence strié de magma restent des reflets de l'insaisissable, des souffles immenses, des cris empierrés entre terres et ciel plein et plomb du monde.
Nous voilà voyageurs empruntant les chemins hantés. Que faut-il voir sinon la source de l'image ? Anguera, par ses statues, retient la marche, invente le silence pour dire ce que les mots ne font pas.
Le temps jette sa montre au milieu du thorax. Chaque présence des pénitents ouvre un inconnu auquel on serait à la fois asservi mais qui délivre. Reste le sang de ta transhumance immobile là où de telles présences deviennent fraternelles, leur front buté contre le temps d'un visage endormi du temps.
Reste la victoire du geste et de la prise de Jean Anguera : contre l'infini dérisoire fuse sa route. Ses sculptures et ses dessins sont le lieu de cruels hymens et des effigies sacrées de la solitude. Le masque du désir se fend d'une longue fracture. Reste-t-il un soleil aux cheveux blancs s'il n'y a plus d'innocence ?