« Existe-t-il une autre femme comme moi ? Vous n’en trouverez aucune. »

« La plus belle femme du siècle », éminence grise et femme fatale, extravagante et séductrice, a illuminé et exaspéré le Second Empire. En marge de ses frasques, la comtesse de Castiglione a aussi inventé un destin esthétique et artistique, romanesque et dramatique.

Née en 1837, la Florentine, un temps maîtresse de Napoléon III pour la bonne cause du Piémont, scelle dans les années 60 une amitié artistique de plus de quarante ans avec Pierre-Louis Pierson qui donnera naissance à quelque 450 photographies, pour certaines retouchées, perfectionnées ou transformées en gouache.

Très vite, Virginia s’impose en performeuse avant-gardiste. Si elle utilise avec maestria l’art naissant du portrait pour immortaliser sa beauté, elle imagine surtout un univers inédit et singulier où elle s’habille, se costume, se travestit, choisit poses, attitudes et accessoires, décide de la mise en scène, des décors et de la lumière pour interpréter, comme bon lui semble, une mère, une madone, une femme à la mode, une vengeance, une frayeur…

Elle offre au monde tantôt l’audace inouïe de ses jambes et pieds nus, tantôt ce visage masqué en partie par un cadre de velours noir, pareil à un loup vénitien, où l’on voit d’elle une chevelure abondante, ondulante et superbe, en partie brune, en partie poudrée à blanc, une épaule dénudée et cet œil énigmatique, objet de toutes les attentions.

En réaction aux injonctions sociales de pudeur, de soumission et de respectabilité propres à sa classe, la comtesse oppose une création narcissique, théâtrale et obsessionnelle fondée sur la liberté et un individualisme forcené. Son œuvre photographique, sous forme d’autoportraits, captive, interroge, surprend et happe.

Madame joue à cache-cache, attire le regard, s’échappe du cadre et du temps. Son autofiction photographique sonne comme autant de préludes à des séries signées Cindy Sherman, Gilbert & Georges, Sophie Calle, Samuel Fosso et annonce les selfies populaires contemporains.

PHOTO : Scherzo di Follia (« jeu à être folle »), réalisé entre 1863 et 1866, ©Pierre-Louis Pierson.