VOIR
Catherine Raspail
Voir. Regarder. Voir et regarder.
Regarder ou voir.
Le regard glisse ou s’attarde, fixe ou ignore, s’ajuste ou se noie dans le vague.
Voir, et comprendre que le soleil inonde la ville, que la bouche de métro est au bout de la rue, que le trottoir s’interrompt et ouvre sur un parking.
Voir la foule à l’arrêt de bus, le gris d’acier du ciel par la fenêtre, la brume épaisse qui monte du sol humide, l’écran de l’ordinateur qui s’allume enfin et savoir que la journée sera rude.
Regarder le mouvement des arbres qui, souples, plient et dansent sous la force du vent, le défilé des nuages qui glissent d’ouest en est sans jamais s’arrêter, le frissonnement de l’eau qui ondule sous le souffle de l’air chaud.
Le photographe ne voit pas. Il regarde. Il pèse et soupèse la vie en action sous ses yeux, le cœur du monde qui bat, la sève ou le sang qui circulent, la chorégraphie animale qui agite le vivant.
Il regarde et s’intéresse. Ses yeux suivent le film toujours recommencé de la couleur du vent, de la chaleur de l’ombre, de l’éclat aveuglant d’une feuille, du mouvement de ton bras, d’une main dans ses cheveux, de la course du temps, de l’étoile qui file.
Mais comment rendre compte de cette respiration, de ces frémissements esquissés, de la danse mimée des trembles élancés, des frissons de l’eau bousculée sous le vent ?
De témoin, témoigner.
Mes yeux pour s’émouvoir et les siens pour transcrire.
Comment d’un clic qui fige, immortaliser le balancement du vivant ? Comment, sans l’aide d’une caméra, traduire ce qui constitue la différence essentielle entre la vie et la mort : le mouvement.
Voir ou regarder.
Voir ou constater que le monde est monde et que nous l’habitons.
Regarder ou s’attarder dans la contemplation de la courbe d’une épaule, d’un rayon de soleil se couchant sur la barrière, au fond du pré, de la plume fragile qui chute au ralenti.
« La photographie, c’est se laisser inspirer par la curiosité, assister au jeu d’action de la nature (...) » nous dit Jeffrey Silverthorne.
Le mouvement s’imprime de manière éphémère sur la rétine, résistant peut-être à une petite mort en restant prisonnier de nos souvenirs. Le photographe, grand regardeur, l’emporte avec lui et nous le restitue en noir et blanc, en couleur, en recadrages ou en collages, en grand format ou en vignette.
Et c’est sous son regard et pas un autre, que nous redécouvrons la mouvance, l’impermanence de la vie.
Comme un souffle fragile, vibration éphémère à jamais recommencée.