AGNÈS AILES
J’ai commencé à photographier enfant, dans les années 90, pour immortaliser et capturer des souvenirs et des sourires, avec cette conscience du temps qui passe et ne reviendra pas.
Alors, j’ai semé, tel le Petit Poucet, des images, pour essayer d’échapper à cette foutue finitude humaine, et à toutes ces cases dans lesquelles je me sentais enfermée.
Et puis, je n’ai jamais cessé de semer.
Rester fidèle aux procédés analogiques, c’était rester fidèle à mon enfance, et à la vie elle-même, tout comme une pellicule dont on sait que la fin est déjà déterminée.
L’argentique, pour moi, c’est un peu comme le vivant : imparfait, hasardeux, surprenant, vrai. Tout en demandant pas mal de patience et une bonne dose de confiance.
Aujourd’hui j’ai bien grandi, mais ma démarche reste profondément la même : une urgence toujours, une nécessité personnelle de libération, un questionnement et une dérision jamais très loin, une volonté tantôt farouche, tantôt dilettante de casser les codes, accompagnée encore de ce désir utopique d’éternité.
Je suis basée à Paris mais l’ailleurs m’appelle très souvent.
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Lèche-moi vivre
Cette série constituée d’images faites entre 2018 et 2024, m’a permis de me reconstruire. Comme une nécessité personnelle à visée thérapeutique : prendre conscience de mes traumas, de ma dysmorphophobie et de m’en défaire petit à petit, pour me permettre de m’accepter.
“Quand je suis née, mon père a dit à ma mère : “comment toi, une femme aussi belle, tu as pu me faire un enfant aussi laid ! ?”.
C’est comme ça que je suis entrée dans le monde, en étant déjà insuffisante.
Mes parents gagnent beaucoup d’argent, mais ils ne savent pas comment aimer : classic capitalists shit…
À l’âge de 8 ans, j’ai failli mourir dans un accident de voiture : ma mère s’était endormie au volant sur l’autoroute.
Depuis ce moment, le sentiment qui ne m’a jamais quittée, c’est qu’une minute on est là, en vie, et la minute d’après, on n’est plus là, on est mort. C’est à partir de là que j’ai commencé à faire des photos, et à prendre la vie, à la fois, très au sérieux, et à la fois, en totale dilettante.
Quelques mois après l’accident de voiture, j’ai cette image de moi, assise par terre dans la voiture, pendant que mon père conduisait, encore traumatisée par l’accident et je me souviens de ma mère se retournant vers moi, me disant : “arrête tes caprices!”.
Comme si rien ne s’était passé, comme si je ne devais pas ressentir ce que je ressentais.
Comme si j’avais tort de ressentir, ce que je ressentais. J’ai donc appris à ne faire confiance à personne, moi incluse.”
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