ALEXA HENRY
J’ai peut-être été photographe depuis l’enfance, car mes souvenirs sont des images, mes émotions sont des images, des focus, des couleurs, des parties d’une histoire. Une abeille qui me pique dans le jardin de ma grand-mère, la couleur du mimosa, la matière des feuillages. Ma première année d’école et la couleur de ma serviette de la cantine, son tissu, les enfants assis dans le couloir à attendre. Mes angoisses nocturnes et les fenêtres surdimensionnées dont les silhouettes se tordaient pour se transformer en monstres à chaque passage de phares des voitures.
On nait tous avec des photographies de nos souvenirs. La question est de savoir quoi faire de ces souvenirs, les faire vivre, les garder pour rester vivant. La photo est un médium pour ne pas oublier, pour rester vivant. Les premières vues sont innocentes : on vit, on raconte, on conserve. Les émotions arrivent, plus tard peut-être. Je ne les verbalisais pas : je n’avais le droit ni de crier ni de rire trop fort alors je les ai cachées pour les exprimer par l’image, quand même. Instinct de survie. Résister.
La photographie est devenue mon stylo, mon porte-voix. La voie (et la voix) qui s’est imposée comme l’unique moyen d’extraire de moi « les laves, les geysers, les chagrins, les émois ». Photographier devint un acte fondateur et fondamental, aussi naturel que l’acte de respiration. Un appareil photo dans ma main : petit objet caché (je le veux suffisamment petit pour qu’il se cale dans ma main sans la rompre) qui connecte mon intérieur avec l’extérieur sans me détourner de moi. L’œil collé au monde et à mon esprit. Une baguette magique qui donne du sens à ce que je vois et qui traduit mes inspirations, mes émotions en images. Masque invisible et passe-partout qui me découvre, me fait partir et me dissimule. Calmement. Au rythme de mes pas, de mes déplacements. Je dessine le monde sans m’en détourner. Je me livre au monde sans m’y perdre.
Pourquoi l’appareil photo ? Pourquoi la photo ? Parce que l’équilibre…
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INCANTATION DU VIDE
(où tout est raconté) Synopsis
Au moyen du mouvement et de l’image, le Vide ici décliné invite à un retour à soi, une introspection qui ramène le spectateur à ses émotions profondes, puisant dans ses ressources émotionnelles et intellectuelles. Celles-là même qui ont permis entre autres à Nelson Mandela de résister et survivre, et qui ont fait dire à William Shakespeare que « L’objectif de l’art c’est de donner une forme à la vie ».
Incantation du Vide est né de la nécessité pour Julie Marolle, danseuse, et Alexa Henry, photographe, de continuer la pratique de leur art en dehors de toutes contraintes et dans la simplicité de rencontres ponctuelles. Julie Marolle pratique la danse depuis son plus jeune âge et Alexa Henry touche à la photographie depuis presque 10 ans. Leur art est leur porte d’entrée dans leur monde intérieur, il est à la fois salvateur et restructurant. Après avoir travaillé ensemble sur plusieurs projets, elles décident de poursuivre leur collaboration.
« Ici et aujourd’hui nous continuons. Vivre et survivre à travers la danse et la photo. Créer pour exister, laisser parler notre langage, vivre notre besoin d’entièreté, de plénitude et se laisser envahir par le vide, l’oubli et le souffle ».
Comment représenter ce Vide intérieur et restructurant ? Comment habiter l’espace tout en le ressentant ? Comment matérialiser cet impalpable et indicible instant ?
« On ne doit pas penser Sur l’avant et sur l’après, En avant en arrière, Seulement la liberté du Pont du milieu » (d’après Zen et arts martiaux Taïsen Deshimaru).
VOICI
Le point d’équilibre. La liberté de créer. Et tout est cohérence : le centre, l’œil, le mouvement, le présent et la musique. Le lien et l’absolu entre toutes choses.
Le Vide complète un tout, crée un équilibre dans une combinaison entre le Noir et le Blanc. Ils se répondent, s’alignent, se touchent, vibrent. On peut représenter le Vide comme un plein monochrome mais, par-delà sa couleur, il est là pour attirer le regard et le geste. Il appuie la Vie, il souligne le mouvement, il annonce l’Harmonie. Il peut être Blanc... Il peut être Noir... Il peut être les deux.
Tangibilité du Vide dans les lignes des mouvements de bras, de mains, de corps embrassant cette impalpable matière. L’énergie et l’émotion de la danse guident et montrent du doigt où poser le regard. Intériorisation du Vide, c’est alors une vibration, une lueur, un signal intérieur qui annonce la trouvaille, la sensation. Le Vide du dehors rencontre le Vide du dedans pour une connexion avec son soi. Matière émotionnelle qui se réveille, se répand pour enfanter une image, une trace, un geste.
Animalité de ce processus où notre être profond, là où les mots ne sont pas, revit et se jette dans les photos et s’empare du Vide pour danser avec lui.