DENIS BERGAMELLI
Diplômé de l’École d’Architecture de Toulouse, je suis aujourd’hui Inspecteur d’Ouvrages d’Art dans le bureau d’études toulousain Getec Sud-Ouest. En marge de cette activité très technique, je pratique la photographie et développe une thématique où le détail et la perte de notion d’échelle associés aux rythmes et à la perspective, donnent un autre regard sur le monde.
_________
Le détail est cette infime partie d’un tout qui, une fois vue, peut changer le sens de l’œuvre. Le détail c’est, comme son étymologie l’indique, une « coupure ». C’est aussi et surtout avec Denis Bergamelli une nouvelle histoire. Subtil, discret ou parfois évident, le détail scande la poésie du visible. Il est chant de la marge et des recoins, du ténu et du fragile. Le détail est, une fois surpris, irréversible, et bouleverse tout avec son apparition soudaine. Il n’est pas fait pour être pris dès le premier coup d’œil. Le détail est aussi, et peut être avant tout, une question de point de vue. Sa révélation peut le faire considérer comme une œuvre dans l’œuvre, une œuvre à part entière.
Le détail a une force exceptionnelle. Inversement proportionnel à sa portée, il prend le risque de nous échapper. Le détail délimite le visible. Il le circonscrit. C’est un indicateur de notre capacité à voir, une invitation à scruter, à pénétrer dans les images et à entrer dans de nouvelles dimensions.
Denis Bergamelli nous convie à une nouvelle poétique du regard. Il nous offre des passerelles grâce auxquelles nous pénétrons de nouveaux univers et faisons de nouvelles rencontres. Avec lui, le détail n’est plus dévorateur de l’image et du sens, il devient image, sens et œuvre à part entière. (Texte de Pascal Chatonnet).
_________
C’est à 16 ans que j’ai travaillé à la chapellerie pour la première fois. Au mois d’août, la manufacture fermait pour congés annuels. C’est là, quand tout était à l’arrêt, que commençait le travail de maintenance. Il fallait remettre en état un patrimoine industriel de près d’un siècle d’existence, améliorer certaines étapes de la production, modifier certains équipement... Durant un mois, je démontais des vieux châssis en fonte, remplaçais des bagues en bronze usées par les mouvements de rotation incessants... Je me familiarisais avec les machines-outils, moi qui avais pris la direction d’un baccalauréat de construction mécanique. Jusqu’à l’examen, j’ai passé chaque mois d’août entre les murs de la chapellerie de Montazels, et c’est en plein milieu de l’examen que j’ai décidé d’arrêter les épreuves et de travailler à plein temps dans cette usine. Nous étions 600 employés, et l’usine battait de l’aile cette année-là. Elle a changé de mains, les grèves sont arrivées, et au final, je n’y serai resté qu’un an, avant de réintégrer le circuit éducatif, de passer le bac, et d’obtenir un diplôme d’architecte.
Ma dernière relation avec la chapellerie remontait donc à 1982. Après de nombreuses vicissitudes, un incendie en ayant détruit une partie, la fabrique continuait toujours à produire. Les gens du coin ne réalisaient même pas que l’usine fonctionnait toujours, on n’entendait plus le sifflet de la chaudière qui sonnait midi et 14h00 pour la reprise, il n’y avait plus de véhicules garés devant... C’est ce qui m’a donné envie d’entamer ce travail de mémoire qui a débuté en 2013 et qui se poursuit encore aujourd’hui.
Quelle émotion quand j’ai remis les pieds dans l’usine ! A peine 8 employés, dont 7 qui étaient là en même temps que moi, en 1982 ! On aurait effectivement pu penser que l’activité s’était arrêtée. Les employés venaient à vélo qu’ils garaient dans le hall, et il n’y avait de fait, aucun véhicule à l’extérieur. Les façades avaient les fenêtres cassées, tout pouvait laisser penser à une usine abandonnée. Mais l’activité était bien là ; j’ai retrouvé ces machines sans âge, ces gestes immuables, cette matière si douce... La laine de mouton qui va donner ce feutre d’une qualité exceptionnelle, la vapeur, ces employés au torse nu à cause la chaleur, un ensemble au combien émouvant pour moi.
Denis Bergamelli