NICOLAS LESPAGNOL
J’aime cultiver les contraires. Changeons le référentiel et les contraires s’avèrent vrais. Renversons une photo et parfois le ciel devient eau ou alors le terrain se tient si bien qu’on entre physiquement dans ce paysage. Le ciel en bas surprend au début seulement. Je suis souvent hypnotisé. Une part de mystère doit subsister pour que le regard ait sans cesse à chercher. Le mystère - mot clé pour René Magritte. Sa peinture était d’un style académique mais elle nous tient par les liens abscons de sujets éloignés.
Nous voyons forcément le dessous d’une chaise retournée et pensons qu’elle devrait chuter. Notre cerveau est habitué aux formes manufacturées, il sait leur envers et leur endroit. Mais devant les formes de la nature bien plus nombreuses qui ne sont pas toutes sondées et enregistrées dans notre panoplie d’espaces, il est dérouté. Ces paysages ne montrent pas le dessous des choses mais l’endroit de nouvelles formes. Ils ne tombent pas comme la chaise retournée. Fantastique ! mais pourquoi ? Creusons encore. Une feuille n’a de haut et de bas que le temps d’un instant. Le vent la tourne . N’y a-t-il pas une application du principe d’indétermination quantique qui dit que nous ne connaissons pas en même temps la position et la vitesse d’un atome ? Si l’on entre dans un paysage retourné, c’est qu’il n’y a plus de gravité.
Les jardins suspendus de Babylone étaient en fait des terrasses élevées et non suspendues. Ici la suspension existe vraiment. Je pense que le hors-champ nous aide à accepter l’inversion des paysages. Nous entrons dans ces espaces parce que nous n’avons pas besoin de sonder le hors-champ. L’absence de hors-champ nous aide à esquiver la question. Ces paysages abstraits de gravité, de masse, se rapprochent souvent de ceux des peintres. La matière photographique prend de la légèreté, elle est pelliculable.