EAST SIDE OF THE CLOUD d'Aaron
Corridor Eléphant propose une collection de livres papier en édition limitée, numérotée, signée par leur auteur et certifiée par un cachet à froid. La maquette, l’impression et le choix du papier sont réfléchis avec l’artiste afin que l’ouvrage corresponde avec le plus de justesse possible au travail du photographe.
Édition limitée, numérotée, signée par l'auteur et certifiée par un cachet à froid. Format 15x21 cm (format cahier), 78 pages. 48 photographies. Le livre d'Aaron est imprimé sur un papier semi-mat 170 g.
"Ici, le mouvement est vecteur d'émotions, il est "terrain" de recherche, l’expression d’une introspection. Au-delà d’un travail sur le corps, la photographie d’Aaron est un travail sur l’infini qu’il renferme."
L'INTERVIEW DU PHOTOGRAPHE
Quelle est la genèse de ce travail ?
Un jour, mon ami et néanmoins psychanalyste François Gatel m’envoie un message : « Va voir le spectacle de Sankai Juku, c’est la dernière ce soir. C’est dans la continuité de ton travail photographique... » Je ne me suis pas posé de question et me suis présenté au guichet sans même savoir s’il restait des places. Je crois bien que j’ai bénéficié du dernier siège disponible. J’ai découvert la danse Butoh. J’ai été fasciné par ces danseurs torse nu, crâne rasé et peau blanche. Avec ces lumières chaudes et dirigées, la lenteur des mouvements, j’ai senti que les tableaux s’adressaient directement à l’émotionnel et au lâcher-prise. J’ai trouvé ce travail très inspirant... Cette série a comporté huit séances avec neuf modèles différents. Elle a donc commencé en toute inconscience, à partir d’une émotion scopique.
Au fur et à mesure des séances, les pensées, au début furtives, vers les blessures de l’enfance, sont devenues de plus en plus présentes. Des synchronicités incroyables ont jalonné ces séances, me montrant clairement que j’étais en train de remettre en scène ces blessures.
Une dernière séance a été rajoutée, car une amie modèle voulait absolument participer à cette série. Je peux dire que cette dernière séance s’est déroulée en pleine conscience. Il m’est arrivé en cours de prise de vue d’avoir les poils qui se hérissaient ou des larmes qui se mettaient à couler...
Voilà, rouvrir les plaies pour qu’elles se referment mieux... réparation...
Je me pose la question suivante : est-ce que les photographes, en prenant des clichés, ne passent pas en fait leur vie à faire des autoportraits ?
Pourquoi les modèles féminins ?
Sur un plan « archaïque », reptilien, j’ai été allaité jusqu’à l’âge de deux ans (Sourire). Je pense que cela façonne le lien... Sur un plan « émotionnel », ce travail est en lien avec les blessures de mon enfance. Or, ces blessures sont féminines. Enfin, sur un plan « spirituel », je pense que Dieu est une femme... ou que le féminin est sacré. Comme vous préférez...
Comment définiriez-vous votre travail ?
Les émotions sont au centre de mon travail. Aujourd’hui, les images que je produis sont issues de mon univers onirique. Elles sont nourries de symbolique, de blessures, de poésie ou de sacré. Mes personnages sont marqués du sceau de mon passé. Mes modèles sont choisis avant tout sur leur aptitude à côtoyer les émotions. J’entretiens avec eux un rapport très étroit sur le plan émotionnel. Les séances sont discutées en amont, mises en mots, mises en émotions.
Le contact avec l’inconscient est quelque chose d’extrêmement important pour moi. J’apprécie particulièrement qu’en découvrant une de mes photos, le spectateur ressente cette petite seconde de flottement, cette minuscule seconde où il n’y a pas de code prévu pour ce qu’il voit. Alors pour moi, le pari est gagné, nous sommes connectés et nous pouvons communiquer directement d’inconscient à inconscient. C’est le royaume de l’émotion, cette minuscule petite seconde. C’est elle qui continue à me rendre créatif.
Je laisse toujours une grande liberté au modèle. J’essaye surtout de nourrir sa créativité par les musiques, par les mots, par le contact avec la matière. Je ne lui demande jamais de jouer un rôle, mais plutôt de vivre quelque chose intérieurement, quelque chose de fort, quelque chose qui le touche personnellement. Le moment de la prise de vue se passe de façon quasi inconsciente, immergé dans le volume de la musique. Cela peut aussi bien être du sacré, une symphonie, un requiem ou les standards des Doors ou Leonard Cohen...
Toute l’équipe est un petit peu en transe. Laisser émerger...
Ce n’est qu’au moment du visionnage que je sors de cet état. Je suis régulièrement surpris de l’émotion qui se dégage des clichés. Surpris, comme si j’étais un maillon dans une chaîne qui me dépasse. Je reçois, je transmets, cela passe par moi, mais vient de plus loin...
L’émotion est le maître mot. Souvent sombre, telles la peur, la perte, l’angoisse, la douleur, la folie, la séparation, la vulnérabilité, mais aussi lumineuse, avec l’espoir, la naïveté, la poésie, le sacré...
La matière est également importante dans mon travail. Que ce soit l’eau, la farine, la peinture ou l’argile, la matière est souvent présente. À mon sens, elle exhausse l’émotion. Elle est porteuse d’un trouble. Comme s’il était difficile de situer l’œuvre, à mi-chemin entre la sculpture, la peinture et la photographie... (N’est-ce pas ainsi dans les rêves ?) La matière participe pleinement à cette précieuse seconde de flottement.
Mon style est volontairement épuré afin d’aller directement à l’essentiel. Surtout ne pas se laisser distraire inutilement. La lumière guide le voyage de l’œil à travers le tableau. Elle prend le spectateur par le regard et le mène précisément vers sa destination...
Pourquoi avoir choisi la photographie ? Comment êtes-vous arrivé à ce média ?
J’ai une âme artistique, créative, émotionnelle. J’ai exploré plusieurs médias au cours de toutes ces années. Le mime, la peinture, la musique, la vidéo... Il y en a eu pour tous les modes de communication (kinesthésique, visuel, auditif). Chacun m’a apporté sa part de bonheur et d’épanouissement. Avec le recul de l’âge, je sais que je suis avant tout visuel. Je me souviens, étudiant, de la magie du développement argentique ; attendre avec patience l’apparition de l’image dans les bacs, à la lueur de la lumière rouge.
L’essor du digital a offert des outils incroyables à la créativité et a été pour moi un facteur décisif pour m’attacher à ce média.
Je ne suis pas un adepte de l’œil collé à l’œilleton. Je n’aime pas cette posture. Je vérifie le cadrage sur le petit écran LCD, mais j’ai besoin de voir la scène directement, d’être immergé dedans, au contact...
Ensuite vient le temps de la postproduction qui est pour moi une phase à part entière de l’acte photographique. Et là, c’est l’enfant intérieur qui reprend les manettes de la créativité. Choisir l’ambiance de la série, la façon de la traiter qui lui donnera l’impact désiré. Tout, avant, n’est que gestation, le tableau est maintenant prêt à être mis au monde, à être regardé...
Pour moi, la photographie ne consiste pas à saisir la réalité, mais bien à la réinventer.