HEMIFRÅN de Charlotte 4B
La maquette, l’impression et le choix du papier sont réfléchis avec l'auteure afin que l’ouvrage corresponde avec le plus de justesse possible à son travail.
Le livre de Charlotte 4B est imprimé sur un papier Offset 170 g.
Il y a dans les images que Charlotte 4B nous ramène de Suède, une eau vibrante. Tantôt tremblement, tantôt crépitement, la lumière coule sur la fenêtre. Des fines dentelles du givre au flou profond de la glace, c’est toujours la frontière vers chez eux qui est interrogée.
Édition limitée, numérotée, signée par la photographe et certifiée par un cachet à froid. Format 15x21 cm (format cahier), 78 pages. 37 photographies.
L'INTERVIEW DE CHARLOTTE 4B
Pourquoi photographier des fenêtres ?
Pour être tout à fait honnête avec vous, je me suis moi-même longtemps posé cette question. J’en suis venue à la conclusion suivante : je crois que la fenêtre est la matérialisation de mon sentiment de déracinement provoqué par mes expatriations successives.
La fenêtre, c’est la barrière entre ce que je ressens et ce que l’on voit de moi, dont les effets sur le verre changent en fonction des pays et de mes étapes d’adaptation. Son verre matérialise la différence culturelle, la barrière de la langue, les différents niveaux d’information, ce que l’on connaît, que l’on sait, que l’on apprend et que l’on appréhende différemment, et tant d’autres choses encore, comme autant de mirages et d’illusions d’optique qui prêtent à la réalité ses différentes représentations.
Cette fenêtre, c’est aussi la frontière diplomatique entre chez moi, asile-mosaïque composé de petits morceaux de chacune des cultures que j’ai appris à apprivoiser, et un dehors régi par des règles différentes et pas toujours tangibles.
C’est aussi, à l’inverse, l’image de ce « chez eux » impénétrable et mystérieux, dont la fenêtre vue de l’extérieur me paraît aveugle et standardisée alors qu’elle recèle derrière elle un intérieur, reflet d’une individualité propre et unique qui me semble inatteignable.
Quelle signification la glace a-t-elle pour vous ?
La glace me fascine par ce qu’elle a d’éphémère. Le froid a beau figer ce qu’il enveloppe, la glace est sensible au moindre écart de température et évolue sans arrêt. Elle apparaît un jour puis elle disparaît presque comme elle est venue. Quand elle est là, elle saisit. Elle anesthésie. Elle paralyse. Elle emprisonne. Puis elle libère, lentement, jusqu’à ce que l’on oublie qu’elle a jamais été là.
Elle est aussi d’une beauté extraordinaire. La couleur et la lumière des paysages gelés n’a de cesse de m’émerveiller et les volutes que le froid dessine et qui changent chaque jour, les cristaux qui se forment, les détails qu’elle révèle, m’hypnotisent.
En emménageant en Suède, je pensais que j’aurais la chance de pouvoir prendre mon temps avec la glace. Mais j’ai appris à mes dépens qu’elle n’était certainement pas chose acquise. Surtout en ces temps de réchauffement climatique. Sous les latitudes où je vivais, quand elle apparaissait, il fallait en profiter parce qu’on ne savait jamais vraiment combien de temps elle allait rester.
L’analogie entre la glace et la différence culturelle m’est rapidement apparue comme une évidence. J’ai mis du temps à me familiariser avec la culture de mon dernier pays d’adoption et la glace illustre très bien le froid que je ressentais en tant qu’étrangère en Suède. C’est une culture très normée dont il faut scrupuleusement suivre les règles bien que personne ne vous les donne. Les gens sont réservés et peuvent au premier abord paraître froids, peu avenants. Quand la communication est claire, elle est souvent rude, bien qu’en général ils ne disent pas vraiment ce qu’ils pensent, ce qui les rend plutôt insaisissables. Alors on mesure par le regard des autres, on tâtonne, de coup d’œil en coin en froncement de nez, de sourire condescendant en sourcil réprobateur.
Comme le givre, c’est une mince pellicule qui empêche la clarté, qui déforme la réalité, aussi changeante que la subjectivité même. Comme tout ça n’est que non-dit, j’aurais très bien pu faire comme si de rien n’était, m’en ficher complètement et continuer à avancer comme bon me semblait, mais je suis ainsi faite que je cherche l’approbation, l’intégration, et l’absence de route tangible et de sourires francs me glaçait. Surtout, je suis consciente que ces barrières n’existaient que dans ma tête, et qu’il n’appartenait qu’à moi de les considérer ou non comme des obstacles véritables. À mesure que j’avançais dans la découverte de la culture suédoise, j’en ressentais un peu moins le froid, j’ai peu à peu appris à affectionner ces différences et j’en apprécie aujourd’hui la beauté.
Comme dans chaque pays où j’ai été amenée à habiter, j’étais toute disposée à chercher à percer l’autre pour mieux rentrer dans le moule, mais je me suis rendu compte que mes propres filtres m’empêcheraient toujours d’être au format, où que ce soit, quoi que je fasse. C’est donc ainsi que j’ai été amenée à réfléchir sur nos certitudes respectives et leur effet sur notre conception de la réalité.
Mon chapitre suédois était voué à ne durer qu’une période limitée, comme la glace des hivers scandinaves, et je voulais absolument cristalliser cette impression, l’illustrer et la transmettre. Pour parler de la Suède, filer la métaphore du froid et utiliser la symbolique de la glace tombaient alors sous le sens.